De retour dans mon hôtel, j’en profitai pour faire un débriefing au QG. Il faisait nuit et j’en avais plus qu’assez de cette mission. Même si j’ai échoué en le laissant filer, j’avais amassé assez de preuve pour qu’on puisse l’arrêter en bonne et due forme. Je me sentais enfin libérer de cette mission qui était devenue vraiment lourde à supporter.
Après une sieste, réparatrice, un message de mes supérieurs me parvint. Ils n’acceptaient pas que ma mission se termine ainsi. Je devais capturer Théréo ou alors l'éliminer. J’étais celle qui devait le faire ou alors je risquais de perdre gros.
Il était minuit passé et malgré tous les transports en commun continuaient de fonctionner. Je retournai voir Tali le plus rapidement possible.
En arrivant dans le quartier, je vis Ala auprès de sa voiture. Il était en train de la nettoyer. En me voyant, il me salua en m’interpellant. Cependant, je n’avais pas le temps de lui donner du temps, je devais voir Tali le plus tôt possible.
Pendant que je montais les escaliers, j’entendis des bruits à l’extérieur. Plus précisément, des coups de feux et des cris. Beaucoup descendaient les escaliers et me bousculaient.
C’était vraiment la folie.
Je vis Camille qui m’attrapa par l’épaule et m’expliqua la situation.
—Des bhikas sont arrivés dans notre quartier ! Je ne sais pas pourquoi ni comment. En tout cas, soit on les bute, soit on y passe. Monte auprès de Tali, moi, je vais en dégommer quelques-uns.
Je la regardais descendre des escaliers. On aurait dit un enfant tout excité d’aller jouer avec ses amis.
Je montai les marches comme jamais je ne l’avais fait. J’ouvris la grande porte et je vis Tali regarder la fenêtre en fumant sa cigarette.
Pris par la colère, je lui dis :
—Tu n’as pas honte de rester là à regarder ton gang se faire détruire ?!
Elle prit sa cigarette et la jeta à mon côté. Tali me fixa avec un regard effrayant.
—Sakuya, ma chère Sakuya… Même si nous sommes camarade, t’entendre me donne envie de te planter un couteau à la gorge. Tu sais qui est à l’origine de ce massacre ?
Je n’avais même pas besoin d’entendre la suite. Je savais pertinemment que tout était de ma faute. Elle m’a accordé sa confiance et j’ai permis à Théréo de s’enfuir et de revenir en force pour se venger. Si je l’avais éliminé, rien de tout cela ne se serait passé.
—Ta cible a donné une forte somme aux Bhika pour nous éliminer. Si seulement Camille l’aurait tué. Il a fallu que tu l’en empêche.
—Tali… Je ne sais pas quoi te dire… Je pensais pouvoir l’arrêter avec des preuves mêmes s’il s’était enfui. Et il revient comme ça, en plus l’OSSK ne veut pas m’aider pour l’arrêter. La mission m’est toujours affectée et surtout à moi seule.
—Félicitation Sakuya. Tu viens de déclarer ton incapacité à être une agente de l’OSSK. Tu te souviens de ce que je t’avais dit ? Eh bien je ne pensais pas que ça allait se passer aussi vite. Viens voir avec moi ton œuvre.
Je m’approchai lentement de la fenêtre avec hésitation. Elle enroula son bras autour de mon cou. Je pouvais voir des tirs dans tous les sens, du sang se répandre sur le sol et des tas personnes rendre l'âme. J’étais tétanisée par ce que je voyais.
Tout était de ma faute. Je ne voulais pas causer autant de souffrance.
—Tu sais Sakuya… Même si je ne suis qu’une infiltrée… J’ai fini par m’attacher à mon gang. C’est devenu ma famille. Tu ferais quoi si quelqu’un venait détruire ta famille ?
—Je…
Je ne trouvais pas les mots. En tant qu’agent de l’OSSK, je ne voulais qu’une seule chose : lutter pour la justice, pour la paix. Je devais arrêter ce massacre, même si je devais y perdre la vie.
—Je vais réparer mon erreur.
—Les morts ne se réparent pas ma petite. Mais tu peux au moins prendre tes responsabilités.
Elle partit devant son armoire et ouvrit un long tiroir doré.
—J’ai un cadeau pour toi. Peut-être que tu vas périr avec dans quelques minutes, mais au moins tu auras touché à une arme d’élite.
—Tu ne voulais pas me tuer, il y a quelques instants ? Pourquoi m’aider encore une fois ?
—T’es petite. T’as aucune expérience, pourquoi te tuer ? Je préfère voir jusqu’où, tu iras. En tout cas, je sais que t’es la plus paumée de tous les agents de l’OSSK que j’ai pu croiser.
Elle me donna un pistolet chromé avec écrit Foudre dessus.
—C’était un cadeau d’une de mes collègues, elle ne me sert plus du tout. C’est pour toi, justicière.
Je ne savais pas comment approcher cette situation. Des larmes commençaient à couler sur mon visage. Elle s’approcha de moi et me fit un câlin. Tali me tapota sur l’épaule.
—Désolé d’être aussi dur avec toi. Mais il fallait bien que quelqu’un te rappelle à la réalité. J’admire ta détermination, mais tu ne peux pas vivre une utopie où l’on peut sauver tout le monde, y compris les malfaiteurs.
Elle me lâcha et en me regardant ajouta :
—Tu pourras toujours revenir me voir. Je sais que ce n’est vraiment pas facile d’être un agent de l’OSSK, mais je serais là pour te soutenir. J’ai vraiment envie de voir jusqu’où ton sens de la justice ira.
Je séchai mes larmes et avant de la remercier, elle me dit :
—Enfin il faudra mieux que tu reviennes en tant que Sakuya car Soyo risque de perdre sa vie ici. Allez va, t’as du boulot sur la planche.
Je lui fis un sourire et sortis avec détermination. Je me devais de secourir un maximum de personne dans cette pluie de balles. Je descendis à toute vitesse les escaliers. Je profitai des zones d’ombres pour abattre les assaillants avec ma nouvelle arme. Les corps s’empilaient. Je ne pouvais même plus les compter.
J’ai réussi à faire reculer les hommes de Théréo. Ce qu’il restait n’était qu’un bain de sang gigantesque. Des cadavres s’étendaient à perte de vue. Tant bien des Bhika que des Krups.
Camille me vit et en profita pour s’accoler à moi. Elle était vraiment heureuse de me voir saine et sauve. J'aperçus Ala à genoux. Devant lui se trouvait le corps de sa sœur.
—Je suis vraiment désolé Ala… Disais-je.
Ala se retourna et me prit violemment par le col.
—Toi… Tout ça, c’est de ta faute ! Camille nous a mises à la page ! Si seulement tu n’étais pas venu chez nous ! Je vais te tuer Soyo !
Je me sentais vraiment au plus mal. Je ne savais pas quoi lui répondre. Camille prit la parole pour moi.
—Essaie mais tu risques de perdre la tienne avant lui ! Je t’ai seulement dit qu’on a laissé partir Théréo. Ne jette pas la faute sur lui, les guerres de gang, c’est notre quotidien non ?!
Ala, sachant qu’il ne ferait pas le poids, me lâcha avec mépris et s’en alla en prenant le corps de Laca. Il s’arrêta et me dit.
—La prochaine fois que tu mettras les pieds ici Soyo… Vaudrait mieux pas que ce jour arrive.
Je regardai une dernière fois cette scène atroce. Ce fut la première fois que je tuai des personnes. Des larmes continuaient de couler tandis que je rentrai dans mon hôtel. Camille me laissa partir sans dire un seul mot.
Le lendemain, à mon réveil. Je décidai de partir à la poursuite de Théréo. Le quartier m’envoya l’emplacement exact de son QG. À cause de la fusillade, ils voulaient que je mette à terme une bonne fois pour toute cette mission.
Ayant pris les transports, j’étais devant un appartement dans un quartier populaire. Il n’y avait vraiment rien qui laissait soupçonner un siège d’un grand malfaiteur. Je montai discrètement les escaliers. Sa chambre était au quatrième étage.
D’un coup de pied sec, j’enfonçai la porte. Tenant foudre dans mes mains, j’étais prête à l’affronter de front. Cependant, il n’y avait aucune réaction à mon intrusion. J’entrai dans son salon et lâchai un énorme soupir.
Théréo était allongé sur une énorme flaque de sang. Je n’avais même pas besoin de vérifier son pouls. Il a été assassiné. Plus précisément, égorgé.
Cette mission, qui m’a fait vivre des montagnes russes émotionnelles, s’était enfin achevée. Je n’avais plus envie de le capturer, je voulais juste que ce cauchemar finisse.
Je décidai de rentrer une dernière fois dans mon hôtel afin de redevenir Sakuya. Sur le chemin du retour, je recevais une multitude de messages de Camille me demanda à la voir. J’ignorais ses messages et appels, je ne voulais plus la mêler à mes affaires. Je ne voulais pas perdre la seule amie que je m’étais faite.
À l’hôtel je commençais à ranger mes affaires. J’allumai mon PC afin de connaître le lieu d’extraction. Cependant, je tombai sur une mise à jour de dernière minutes.
—Urgence… Éliminer Camille du Gang des Krups.
Je n’en revenais pas. Pourquoi devrais-je l’éliminer ?! Et de plus, je ne pouvais même pas la capturer. Elle était classée noir, je n’avais aucun choix excepté de la tuer.
Par réflexe, je pris mon téléphone pour appeler Camille. J’entendis une sonnerie tout près de moi. Je me retournai.
—Salut Soyo. Ou plutôt Sakuya Keh’Menia ?
Elle était là, chez moi. Elle connaissait ma vraie identité. Était-ce pour cela que je devais la tuer ? J’avais une multitude de questions qui n'arrêtait pas d'apparaître.
Je braquai foudre par instinct.
—Sakuya ! Écoute-moi ! Tu n’es pas obligée de leur obéir ! Tu dois être libre ! Ils t’utilisent et tu ne mérites pas cela. Tu es quelqu’un de formidable, laisses tomber cet OSSK et vis ta vie comme bon te semble !
C’est ce que j’ai toujours voulu entendre. Mais je voulais comprendre pourquoi je me devais de la tuer.
—Camille, pourquoi dois-je te tuer ?
—Parce qu’ils n’ont pas apprécié, que je tue ta cible sûrement ? Ou alors que j’ai tué cette traîtresse de Tali…
Sur le coup, je n’avais pas compris la fin de sa phrase…
—Elle t’a embarqué dans quelque chose qui n’est pas fait pour toi. Tali aurait dû comprendre que tu n’es pas faite pour ce monde.
Une rage commençait à naître en moi. Si Camille était ma première amie, Tali était comme une grande sœur pour moi.
—Camille… Je n’ai plus le choix…
Je tirai plusieurs coups sans viser afin de la repousser. Elle réussit à dévier mes balles avec son bras droit.
—Qu’est-ce que… disais-je devant une telle esquive.
Elle remonta sa manche droite. En dessous de son habit, elle cachait une armure de l’armée impériale. Normalement, seule l’élite pouvait en porter. Il est impossible de s’en procurer, même illégalement.
—Je n’allais pas venir te voir sans ma carte secrète. Je sais malgré tout, que je ne dois pas te sous-estimer.
Je n’arrivais pas à réfléchir convenablement. Je ne voulais pas la tuer. Et même si je le voulais, notre différence de niveau était bien trop grande. Je sentais que je pouvais m’effondrer devant cette situation.
—Tu dois te demander si tu seras vraiment capable de m’éliminer ? Je sais que tu es une bonne personne Sakuya. Ce n’est pas une question de niveau qui nous sépare.
—Je peux savoir ce que c’est ?
—C’est l’expérience. Mis à part l’assaut des Bhikas, tu n’as jamais tué quelqu’un.
—Je ne peux pas… Je ne veux pas te tuer Camille…
—Et moi non plus. Ce que je veux, c’est ton bonheur. Et ton bonheur ne se trouve pas au sein de l’OSSK.
Elle s’approcha de moi en me tendant la main.
—Je suis là pour toi Sakuya. Comme tu l’as été pour moi.
Les images de Tali lors de mon dernier jour au gang refirent surface. Je reculai en même temps. Je me retrouvai dos à ma fenêtre.
—Ok si tu n’arrives pas à te décider… Peut-être que quelques coups vont te réveiller !
Camille commençai à me donner des coups de poings. Mon corps, ayant subi un entraînement intensif, se mit à riposter. Je commençais petit à petit à avoir l’esprit de plus en plus clair.
—Camille ! Tu es ma première amie ! Je ne veux pas te tuer…
Surprise, elle s’arrêta et laissa une ouverture.
—Mais je n’accepterais pas le fait que tu puisses tuer quelqu’un qui m’est aussi chère !
Je lui donnai un coup de pied à la tête. Elle vola jusqu’à la porte d’entrée.
Sa tête était en sang.
—Sakuya… Je ne veux pas me battre, tu sais. Je veux seulement te faire sortir de ta cage. Comme tu l’as fait pour moi !
—Camille… Tu n’as pas conscience de tes actes.
Je sortis Foudre afin de lui faire comprendre ma résolution.
—Alors c’est ça que tu veux Sakuya ? Notre amitié n’a pas plus de valeur que ta justice bordadrienne ?! Ce n’est qu’un rêve ! Tu deviendras exactement comme moi !
—Désolé Camille… Je ne voulais pas en arriver là.
Je commençais à avoir des larmes qui coulaient à flots.
Elle fonça vers moi avec son bras droit en avant. À cet instant, je compris que je ne pouvais plus faire machine arrière. Il ne restera qu’une seule de nous deux.
Avec une feinte, elle réussit à me faire lâcher Foudre. Elle me donna une multitude de coups de poings et me balança sur mon lit avec un coup de pied au ventre.
Je me rappelai d’une leçon de survie. Face à un prédateur, je me devais d’utiliser mon environnement.
Je lançai mon drap sur Camille et dégainai ma dague. Elle réussit à se dégager du drap et juste au moment où elle allait m’égorger avec la sienne, je plantai ma dague dans son ventre. Sa lame s’arrêta vraiment à quelques millimètres de mon œsophage.
Elle le laissa tomber et lâcha un soupir.
Le sang se répandait abondamment sur le sol. Elle avait de plus en plus de mal à respirer. Je voyais des larmes sur son visage.
Je la pris dans mes bras et je me mis à pleurer aussi.
—Tu sais… je… je savais depuis le début… que tu… n’étais pas un garçon. Tu étais… vraiment génial pour un garçon…
—Je suis vraiment désolé Camille… Si seulement je t’avais dédié plus de temps… Si seulement…
Avec ses dernières forces, elle me caressa les cheveux.
—Merci… sa… kuya…
Et lâcha son dernier souffle.
C’est ainsi que ma première mission s’acheva…
Et que ma première amie perdit la vie, tout comme mon rêve.
Comments